Repères
Maram Al-Masri
De l’écriture
sous perfusion
Maram Al-Masri, poétesse syrienne de langue arabe, est née à Lattaquié en 1962. Après des études de littérature anglaise et un premier recueil Je te menace d’une colombe blanche, paru en 1984, elle quitte son pays et s’installe à Paris où elle vécut difficilement.
Cerise rouge sur un carrelage blanc, son second recueil paru en 1987 chez L’Or du Temps (Tunis), verra la consécration de cette nouvelle voix de la poésie arabe contemporaine, saluée comme il se doit par la critique et traduite dans de nombreuses langues : français, anglais, espagnol, allemand, italien… Ce même recueil sera repris en 2003 par les éditions PHI dans une traduction préfacée par Lionel Ray. Je te regarde, son troisième livre obtint en 2007 le prix de poésie de la SGDL. S’ensuivent Les âmes aux pieds nus (Le temps des cerises, 2008), Par la fontaine de ma bouche (Bruno Doucey, 2011) et La robe froissé (Bruno Doucey, 2012).
Le passage chez Maram Al-Masri d’une écriture jugée par trop sensuelle… à une écriture "sous perfusion" dictée par les images tragiques qui arrivent de là-bas, son pays la Syrie, et par son engagement sans faille aux côtés du peuple face à une dictature des plus abominables, est à souligner ici, écriture de l’intense faite de petites touches directes, cinglantes, limpides.
Lauréate en 2015 du prestigieux prix Dante Alighieri pour l’ensemble de son œuvre, le jury présidé par le poète italien David Rondoni, soulignant les mérites de l’auteure, estime, notamment, que la poésie de Maram Al-Masri défend, dans les circonstances dramatiques d’aujourd’hui, les valeurs universelles de l’amour et de la vie.
Aziz Zaâmoune
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Des coups à la porte.
Qui est-ce ?
Je cache la poussière de ma solitude
sous le tapis,
j'arrange mon sourire,
et j'ouvre.
* * *
J'ai vu les traces
des pas,
points noirs
qui vont et viennent.
La neige blanche
qu'on dit
pure
a trahi
les oiseaux, les chats
et les fantômes de mes pensées,
avant que le soleil paresseux ne se lève,
pour tout
effacer.
* * *
Elle va nue, la liberté,
Sur les montagnes de Syrie
Dans les camps de réfugiés.
Ses pieds s’enfoncent dans la boue
Et ses mains gercent de froid et de souffrance.
Mais elle avance.
* * *
Nous, les exilés,
Rôdons autour de nos maisons lointaines
Comme les amoureuses rôdent
Autour des prisons
Espérant apercevoir l’ombre de leurs amants.
Nous, les exilés, nous sommes malades
D’une maladie incurable
Aimer une patrie
Mise à mort.
* * *
L’avez-vous vu ?
Il portait son enfant dans ses bras
Et il avançait d’un pas magistral
La tête haute, le dos droit…
Comme l’enfant aurait été heureux et fier
D’être ainsi porté dans les bras de son père…
Si seulement il avait été
Vivant .
* * *
Quand vous les voyez
Ne baissez pas la tête
Regardez-les,
Même derrière le nuage de vos yeux.
Peut-être ainsi dans leur mort cruelle
Reposeront-ils au paradis
De votre mémoire.